La gifle à Pleven

Ce jour-là, en plein Paris, un groupement d'anciens combattants donne rendez-vous à un régiment blindé pour s'emparer de l'Elysée et en finir avec le régime des partis. Mieux, l'opération est montée avec la complicité de certaines forces de police.


Rappelons les faits. Alors que se déroule à 20 000 km de distance la bataille de Dien Bien Phu, le dernier maréchal de France, Alphonse Juin, s'est permis le 31 mars des propos factieux, en public, devant la presse, rappelant son opposition à la CED, la Communauté européenne de défense et dénoncé la politique d'abandon de l'armée menée par le gouvernement en Indochine.



Convoqué pour ses propos par le ministre de la guerre René Pleven et le président du Conseil, Joseph Laniel, le maréchal a refusé de faire le déplacement puis, au congrès des anciens de Saumur a répondu : "je ne répète pas deux fois la messe pour les sourds... Rendre raison. Raison à qui? L'Etat... Il faudrait qu'il y ait un État! Mais il n'y a qu'une administration sans oreille ni entrailles... On ne peut pas laisser dépérir plus longtemps l'armée. La condition de nos cadres est inhumaine. Il y va du ressort de la Nation."

Or, le congrès annuel des "anciens d'Indo", réunis au sein de l'association des anciens combattants de l'Union française (ACUF), doit justement se dérouler les 3 et 4 avril 1954. Pour ses membres, de tels propos représentent un espoir. Précisons que l'ACUF est forte de 40 000 adhérents. Si les deux tiers sont effectivement d'anciens combattons rappelons qu'ils sont très jeunes et combatifs (ils reviennent pour la plupart d'Indochine).

L'association est dirigée par le colonel Mirambeau, un nationaliste authentique. Quelques semaines plus tôt, il dirigeait encore l'état-major du général Blanc, chef des armées françaises. Cet ancien de la 2ème DB pense qu'il est temps d'en finir avec "ce régime pourri". En plus de diriger l'ACUF, Mirambeau commande également le GB2, groupement blindé n°2. L'unité la mieux dotée de France.
Le dimanche 4, les membres de l'association doivent normalement se rendrent en cortège à l'Arc de Triomphe pour ranimer la flamme du soldat inconnu. Mais le gouvernement au grand complet, Leignel en tête, sera aussi de la partie... Une occasion en or pour Mirambeau.

Le plan concocté est simple : procéder à l'arrestation de tous les ministres lors de ce rassemblement, faire marcher le GB2 sur Paris et s'emparer des principaux ministères puis enfin, accompagner le maréchal Juin à l'Elysée.

Pour bien faire les choses, toute la famille des nationaux est également présente, de "Jeune Nation" aux royalistes de "Restauration nationale" et "Aspect de la France".

Le plus surprenant est la façon dont sera neutralisée la police. C'est Pierre De Gaulle, le frère du général qui a pour mission de prendre contact avec le préfet de police Baylot afin d'éviter que les forces de l'ordre ne s'opposent à la manœuvre. Rappelons qu'à cette époque, les gaullistes intriguent également contre la République dans l'espoir de ramener le général au pouvoir. Seul une crise du régime permettrait selon leurs calculs d'atteindre ce but. Il n'y a donc rien de surprenant à voir le RPF tremper dans cette opération. De fait, le préfet Baylot confie la sécurité de la manifestation au commissaire Dides, membre en sous-main du RPF...

Malheureusement, si l'opération en elle-même est bien montée, un élément important fait défaut: personne n'a contacté Juin pour lui proposer l'aventure dont, rappelons le, il doit être l'acteur principal. Prévenu la veille, ce dernier va refuser de s'embarquer dans cette équipée qui aurait pu à n'en pas douter changer le cours de l'Histoire.

Cependant, même si l'opération est annulée in extremis, le gouvernement va trembler et attraper des sueurs froides. Peu après la cérémonie, comme la tradition l'exige, le président du Conseil doit saluer les personnalités. Mais, soudain, l'insulte : Roger Delpay donne le ton en refusant de serrer la main tendue. Confus, Laniel et Pleven continuent machinalement d'avancer. Mais le pli est pris : tous ceux qu'ils passent en revue portent désormais main droite dans le revers de leur veston, à la Napoléon.
Puis, après avoir chanté la Marseillaise, sur la dernière note de la fanfare, des cris retentissent: "Vive l'armée!", "Pleven assassin!", "Pleven à Dien Bien Phu!"

On crache sur Laniel, il reçoit des coups de pieds dans les tibias, la police a beaucoup de mal à l'extraire de la foule. Un légionnaire parachutiste à béret vert arrive au contact du ministre Pleven et lui assène une formidable gifle. Le légionnaire s'appelle Demarquet, compagnon de route d'un certain Jean-Marie Le Pen...

Pour plus de détail concernant cet événement, lire le livre "Résurrection, naissance de la Ve République, un coup d'Etat démocratique" de Christophe Nick

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Français génétique - narbonoïdes

Narbonnoïdes (BBEA)

Merkado 4 juin 2020